Roman Polanski a reçu hier soir le César 2020 du meilleur réalisateur et les réactions à la nouvelle sont intenses et variées. Tristesse, colère, honte, déception, ennui… parfois un mélange de tout cela. Pourquoi ? Parce que Roman Polanski est un arbre.
Un énorme arbre qui nous masque toute une forêt de questions.
Est-ce que la justice (au passé et au présent) juge correctement les viols et agressions sexuelles ?
En 1977, Roman Polanski a été condamné pour rapports sexuels illégaux avec une mineure, pas pour viol. Samantha Geimer, la victime elle-même, admet que puisqu’il n’y a pas eu de violence, ce n’était pas un viol. Pourtant à l’époque Samantha Geimer a 13 ans, elle est mannequin et pose pour Polanski. Ils sont seuls dans la maison de Jack Nicholson. Polanski lui fait boire du champagne puis alors qu’elle est ivre, lui propose de partager un Quaalude (si vous avez vu le Loup de Wall Street, vous voyez de quelle drogue il s’agit). Samantha se retrouve par la suite engagée dans des activités sexuelles dont elle ne connait même pas le nom, et que Roman Polanski (alors âgé de 44 ans) considérera pourtant comme consenties.
La définition du consentement était-elle juste ? La définition du viol était-elle juste ? Quelles sont-elles aujourd’hui ?
Arrêté le lendemain, Roman Polanski est libéré sous caution. Il plaide non coupable et la famille de la victime souhaite éviter un procès public à Samantha Geimer. Le juge considère que les « circonstances étaient provocatrices », et que la victime était « physiquement mature ». Les expertises psychiatriques disent que Roman Polanski ne présente pas « les caractéristiques d’un délinquant sexuel » et qu’il a l’air d’être un mec bien.
Un délinquant sexuel est identifiable par des caractéristiques ? Est-ce que tout un chacun ne devrait pas répondre de ses actes (même s’il a l’air d’être un mec bien) ? La stigmatisation de la victime est-elle acceptable ? Comment faire changer la honte de camp pour de bon ?
Roman Polanski écope donc de 90 jours de prison mais bénéficie d’un sursis d’application pour préparer son prochain film. Deux mois plus tard, il passe finalement 42 jours en prison avant d’être libéré pour bonne conduite. Subissant les critiques de l’opinion publique, le juge veut prononcer une nouvelle peine. Ou alors : Roman Polanski purge les 48 jours restant et quitte les Etats-Unis pour toujours. Le lendemain Roman Polanski est dans l’avion.
Pourquoi l’opinion publique et la justice sont en désaccord ? Où est le noeud ? Ce qui rend impardonnable un viol n'est-il pas aussi le fait que pour certains il ne soit « pas si grave » ?
Depuis 1978, Roman Polanski n’est pas retourné aux Etats-Unis. En 1993, il a versé un montant à Samantha Geimer, accompagné d’une lettre d’excuse. Sa victime dit lui avoir pardonné. Il considère avoir purgé sa peine et dédommagé sa victime. En revanche les charges pénales existent toujours à son encontre. Roman Polanski est un fugitif, mais il circule librement en Suisse, en France et en Pologne (pays qui refusent son extradition vers les Etats-Unis).
Quelles sont les conséquences d’un viol pour la victime et quel dédommagement mérite-t-elle ? Comment la justice entend-elle la volonté des victimes ? Quel impact ont la notoriété et les ressources financières d’un agresseur sur son traitement par la justice ?
Plusieurs autres femmes accusent Roman Polanski de viol. Le schéma est toujours le même : celui d’un homme de pouvoir auquel de jeunes aspirantes font confiance. Depuis l’affaire Geimer-Polanski, ce dernier a toujours nié les faits. Et en réponse aux accusations successives, il dénonce un acharnement judiciaire et médiatique. Une seule accusation publique a donné lieu à une plainte judiciaire, celle-ci a été classée sans suite.
Comment entendre les victimes ? Comment prouver les faits ? Comment aménager la notion de prescription ? Que dénonce la « justice de Twitter » si ce n’est les manquements de la Justice ? Est-ce qu’en écho à la stigmatisation des victimes… une victimisation des agresseurs est acceptable ? Pourquoi la figure de l’homme de pouvoir séducteur est-elle valorisée quelqu’en soient les dérives ?
Il est dommage de cristalliser des émotions sur Roman Polanski au point d’en oublier qu’il n’est qu’un cas parmi tellement d’autres. Il est dommage de polariser les opinions. La loi et son application sont des questions d’éthique. Il n’y a pas de blanc et de noir, mais mille et une nuances. Il ne peut y avoir de débat constructif entre un procureur armé de fumigènes et de banderoles et un avocat de la défense qui tweete qu’on lui casse les couilles.
Polanski est un vieil arbre qui pose la question de la justice et de la rédemption. Roman Polanski, Woody Allen, Harvey Weinstein sont « vieux ». Jeffrey Epstein est mort. Il faudra bien aussi se demander comment réintégrer un agresseur condamné après sa peine.
Est-ce parce que la société ne sait pas comment faire coexister les agresseurs avérés et les victimes survivantes que la justice est réticente à condamner les premiers ?
Adèle Haenel était présente aux Césars hier soir (sachant le film de Roman Polanski nominé dans 12 catégories). Roman Polanski n’était pas là. Et pourtant… Roman Polanski reçoit le César 2020 du meilleur réalisateur. (Pas le César du meilleur film pour « J’accuse » mais le César du meilleur réalisateur ! Alors que Ladj Ly est nominé pour « Les Misérables ». Alors que François Ozon est nominé pour « Grâce à Dieu »… ). Le vieil arbre est redoré à la feuille !!!
Quel est le message envoyé aux victimes ? Pourquoi une partie de la société défend des agresseurs ? Est-ce du déni ? De la provocation ? De la solidarité ?
Toutes ces questions sont fondamentales aujourd’hui dans la voie que semble vouloir prendre la société pour faire évoluer le traitement des victimes et des coupables de violences sexuelles.
Ce César, c’était le glas du pot de fin de semaine de tournage. Les membres de l’équipe sont rentrés chez eux. « L’académie des Césars… mais quelle bande de tanches ! »
Qui est chaud pour une balade en forêt ?
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