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J’ai commencé ce métier de femme d’images en connaissance de cause et en étant « la fille de...».

Mon père, jeune réalisateur, est mort à 43 ans, en préparation de son second long-métrage bien ambitieux, « la valse aux adieux» adapté d’un roman de M.Kundera, en septembre 1985. Il avait été auparavant, de longues années, assistant à la mise en scène et des meilleurs: Polanski, Richardson, Losey, Melville...et d’autres.

Dans le grand fracas qui a suivi sa mort, l’année de mon bac, je suis d’abord passée par les classes littéraires, puis suis partie à Bruxelles, faire l’INSAS. J’y ai intégré la section image, la foi chevillée au corps et le poème de Michaux, « contre», tout contre moi.

 

À mon retour à Paris, j’ai eu mon premier travail d’assistante caméra. C’est Sabine Lancelin qui m’a donné ma première chance. J’étais fière. Et puis, j’ai suivi la voie du samouraï; une bonne petite soldate du cinéma.

J’ai continué ce métier en étant «l’assistante de ...». Et j’ai adoré ça. J’y ai mis tout mon coeur. Mes chefs hommes ont été exigeants et protecteurs comme l’impose la fonction. Et je les ai observés exercer. J’apprenais mon métier. L’humour graveleux et les vannes à deux balles faisaient partie du folklore ambiant; j’en ai été plutôt épargnée. Je mettais un point d’honneur à arriver en même temps que les équipes électrique et machino; à porter toutes mes caisses, à demander le moins d’aide possible et à être la plus rapide et la plus fiable possible. J’apprenais mon métier.

En connaissance de cause, disais-je, en préambule; un métier d’excellence au service d’un propos, d’une vision, d’un point de vue sur le monde. Le film qui m’avait donné envie de ce métier: « Fanny et Alexandre».

Quand j’ai commencé à être fatiguée d’ouvrir les portes du camion, j’ai décidé de passer à la photo. 2003. Révolution technologique et 35 ans. Toujours animée de la foi du charbonnier, j’ai fait l’image de films auxquels je croyais,

souvent avec des gens qui y croyaient aussi. Et dans ces cas-là, la question

d’être à un poste de «pouvoir» et d’être femme, ne se posait pas. Comme par hasard, souvent lorsque des femmes étaient productrices ou réalisatrices... Dans le cas contraire, la question se posait. Entre chaque film, plutôt rare, j’ai largement eu le temps de me remettre en question. Pas assez ceci, trop cela...

Bien sûr que ma spécificité d’être une femme chef-opératrice a toujours été prise en considération; en bien ou en mal; ce que je fais ne se sépare pas de ce que je suis; cela relève de la pensée magique de croire y échapper. Ainsi, ai-je

choisi «un certain cinéma»? Quid de l’oeuf ou la poule? La réalité est là: les films dits d’auteur plus ou moins ambitieux constituent la part congrue du gâteau audiovisuel; et cette part intéresse aussi certains hommes, heureusement; nous nous la partageons donc. Cela fait peu. La différence est que les hommes peuvent prétendre au reste du gâteau si besoin...Nous, non,

ou à peine.

Sur «Chantrapas», ma première collaboration avec Otar Iosseliani, enfin, j’étais à ma place. J’avais grandi.

Et j’étais enceinte. Sur la ligne. 41 ans. 

 

J’ai choisi mon fils. En connaissance de cause. J’aurai pu faire autrement. J’ai choisi de partager ma vie avec une femme. Qui était prête à soutenir mon choix, quelqu’il soit. J’aimerai que toutes les femmes puissent avoir ce choix et que les hommes s’autorisent cette liberté là. Nous sommes loin du compte. Bien sûr que nos métiers sont incompatibles avec une vie de famille selon le sens commun. Comme beaucoup d’autres métiers passionnants. Et bien sûr, qu’un père qui se consacre pleinement à sa passion ne souffrira jamais de l’opprobre générale à la différence d’une mère.

J’ai commencé à transmettre. J’adore ça. J’ai peu tourné.Mon fils a grandi.

Je me suis installée dans le 93. Je milite. Aujourd’hui, j’essaie de construire des actions d’éducation aux images, d’apprendre aux enfants, à faire des images pour ne pas les subir, de les déconstruire. Aujourd’hui, dans mon territoire, 25% des enfants accueillis en petite enfance souffrent d’une surexposition aux écrans. L’année dernière je me suis bagarrée pour que les instituteurs ne jouent pas au foot avec quelques élèves à toutes les récrées privant les non footeux et surtout la majeure partie des filles, d’un espace de jeu...Quelle est la copine de mon fils qui osera se projeter en directrice de la photographie?

Révolution technologique. Elle n’est pas neutre. La fabrication de l’image en amont et en aval du tournage se complexifie et exige des compétences informatiques et/ou scientifiques. Nous nous devons toutes et tous de nous tenir informé·s et d’expérimenter chaque soubresaut de la révolution. Nous plus qu’eux, sauf exception. Les filles ne se dirigent encore que trop peu dans

les filières scientifiques (42% en S, STI2D ou STL chiffre 2018 sur le site https://www.digischool.fr/vie-etudiante/enseignement/filles-garcons-statistiques-plan-egalite-ecole-26891.html)

Et dans l’enseignement supérieur, les formations sont très peu mixtes puisqu’en université plus de 70% des femmes choisissent les lettres et langues et moins de 30% se dirigent vers les sciences et les Staps. (même source).

Je reste persuadée que la substantifique moelle de notre métier est la traduction d’un désir de mise en scène et qu’il nécessite avant tout du langage et de la pensée, donc de la culture et de la rencontre.

Que l’avenir de notre métier se joue sur notre capacité à jouer collectif - désormais nous sommes plusieurs à fabriquer l’image- et que le pouvoir de faire un film dépend du désir originel partagé entre mise en scène et

production; c’est à cet endroit là, que les femmes doivent lutter et s’en emparer; nous femmes-chef opératrices n’ intervenons qu’ensuite. Si cela n’est pas -et nombre de films se font sans cette condition préalable- il nous faut alors batailler et prouver que nous sommes aussi compétentes et disponibles corps et âme que les hommes, si ce n’est plus pour emporter le

morceau.

Je n’ai jamais douté que je pourrais exercer ce métier. J’ai toujours su que les places étaient chères et qu’il s’agissait d’un privilège rare. Et qu’à compétences égales, le chemin serait plus escarpé pour une femme que pour un homme. Pourquoi en serait-ce autrement puisque c’est le cas dans toute la société? Le cinéma n’est-il pas au coeur même du réacteur?

J’ai choisi la marge et non la norme. En connaissance de cause.

Salutations adelphiques.

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