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Collectifs à l'international: ACC-Chili

DEUXIEME CHAPITRE

Entretien avec Maura Morales Bergmann: directrice de la photographie italo-chilienne et présidente de l’ACC, association des chefs opérateurs du Chili.



J’aime le mot « compartir », ça veut dire partager. Avec cette idée je les ai tous convaincus

à me choisir comme « presidenta»


Maura, peux-tu nous parler de ton parcours professionnel?

En 2000 je suis admise à l’école de cinéma: Centro Sperimentale di Cinematografia (CSC), section Image, à Rome. Lorsque j’y repense ça me fait sourire la façon dont ça s’est passé et surtout le comportement de certains à mon égard. A l’époque ce n’était vraiment pas drôle. Le cours de Photographie se déroulait en 3 ans et il comptait 6 personnes. Cette année-là on était deux femmes et quatre hommes. J’avais 20 ans et mes camarades entre 25 et 30 ans. Certains avaient déjà suivi d’autres études dans ce milieu.

J’avais commencé à travailler dans le cinema comme bénévole sur les plateaux dans la fonction de runner, et ensuite comme assistante réalisatrice. Donc à l’époque je ne connaissais rien à la photographie. Pendant les cours j’étais très discrète, je ne parlais pas beaucoup, en revanche j’observais énormément. J’avais envie d’approfondir mes connaissances, je passais beaucoup de temps à faire des recherches. Pour me faire une place j’ai travaillé dur et je me suis accrochée afin de montrer de quoi j’étais capable. On m’a mis des bâtons dans les roues. A la fin de mes années d’étude j’ai compris pourquoi. C’était pour me mettre dans les conditions de travail qui m’attendraient par la suite, lorsque je serais directrice de la photo. Pour diriger une équipe il faut avoir les reins solides, savoir s’imposer et se faire comprendre. Aujourd’hui je suis fière de mon parcours et de la manière dont je m’en suis sortie malgré mon jeune âge, mon manque d’expérience et le fait d’être une femme.


Est-ce que à ton avis il y a eu des changement avec le temps dans les écoles de cinéma et dans l’audiovisuel? Est-ce que la différence est encore présente entre femmes et hommes?

Je vous raconte une anecdote arrivée à une des mes collègues cheffe opératrice à l’époque de ses études. Il y a des années en arrière au CSC, bien avant moi. Un jour le professeur emmène sa classe à Cinecittà sur un tournage, mais lui ne la fait pas rentrer sur le plateau parce que c’est une femme. Lorsque elle m’a raconté cet épisode je suis restée choquée. Heureusement que les choses sont en train de changer mais je me rend compte qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Encore aujourd’hui il existe des professeurs, chefs opérateurs, qui sont convaincus que les femmes ne sont pas à l’hauteur et ils arrivent à les décourager.

J’enseigne à l’Université et je ne fait pas de différence entre mes élèves, car pour moi les hommes et les femmes sont égaux. Une cheffe opératrice allemande Anna Foerster (ASC, BVK) avec qui j’ avais discuté de ce sujet partageait tout à fait mon avis. Il ne faut pas se sous-estimer parce qu’on a les mêmes droits et notre place sur les tournages est tout à fait légitime.

En ce moment je travaille avec des gens qui n’ont pas ces à priori. Ils ne se posent même pas la question, et s’ils me choisissent c’est parce qu’ils ont apprécié mon travail. Dans ma vie j’ai déjà rencontré des personnes qui n’avaient aucune envie de travailler avec une femme, mais cela ne m’empêche pas d’exercer mon métier.

Par contre, certaines de mes collègues ont du modifier leur attitude pour obtenir un job, et cela les a endurci. Elles ont adopté des comportements masculins mais moi, je me suis toujours promis de ne jamais changer et de garder mon identité de femme.


Quelle est pour toi le rôle de l’éducation pour espérer une réelle évolution pour la nouvelle génération?

L’éducation est fondamental pour faire changer les mentalités et faire progresser la société.

J’ai hâte d’enseigner aux enfants et aux adolescentes et leur montrer qu’une femme est aussi capable de manier une camera et réaliser des films.

J’aurais adoré rencontrer au cours de ma scolarité une cheffe-opératrice qui m’aurait démontrée cette possibilité. Cela aurait certainement modifié mon parcours.

Lorsque je réalise des images pour des documentaires c’est fascinant de voir les yeux des enfants. Une fois je tournais en Patagonie et une petite fille n’arrivait pas à croire que derrière la camera se tenait une femme! Je suis convaincue de la nécessité d’une éducation à l’image. Je la proposerais comme une matière d’enseignement. C’est important d’éduquer le regard, de décrypter le sens des images et la signification qu’on veut en donner. Par exemple, j’aimerais pouvoir expliquer aux jeunes la différence entre une lumière chaude et froide, une lumière basse et haute. Je crois que la perception de notre travail ne serait pas la même.

Je garde des magnifiques souvenirs de mon séjour au Maroc. Là bas, les gens ont une sensibilité et un respect vis-à-vis de la lumière, qui m’ont impressionné.      

Par exemple, je déteste les néons et je refuse de manger dans des restaurants où il y en a! Pour dire, que tout cela fait partie d’un pays et d’une culture.


Quelle est pour toi l’importance de ta double nationalité: italienne et chilienne? Cela a t-il compté dans tes choix professionnels?

Le début de ma carrière est lié plutôt à un défi. Lorsque en 2003 je suis sortie du CSC, je parlais déjà quatre langues et j’aurais pu partir à l’étranger et démarrer ma vie professionnelle. Mais je ne l’ai pas fait. A l’époque le nombre de directrices de la photographie était très faible. Moi j’ai préféré rester par fierté. Je crois avoir atteint mon but. A l’heure actuelle, nous sommes beaucoup plus nombreuses.

Depuis maintenant dix ans je travaille régulièrement entre l’Italie et le Chili, qui est devenu mon deuxième pays. Pour moi c’est fondamental de pouvoir compter sur ces deux cultures. Elles sont encrées en moi, je ne pourrais pas les séparer. Grâce à cela, un vrai marché à l’international s’est ouvert à moi. Même en Italie, les projets sur lesquels je travaille sont toujours en coproduction et non pas juste financés par une production italienne. J’ai participé à créer les liens juridiques entre les deux pays qui ont ouvert un fond dédié aux coproductions Italie-Chili. Je suis impliquée dans presque tous les projets.

L’association des directeurs de la photo, l’ACC, au Chile est née en 2016 et l’année dernière j’ai été élue présidente, cela signifie que je suis très impliquée aussi de l’autre côté du globe.


Comment es-tu arrivée à la présidence de l’ACC? Est-ce que le fonctionnement de l’organisation, serait différent si un homme était à ta place?

Les membres de l’association chilienne sont convaincus que les femmes arrivent à obtenir des résultats plus rapidement et facilement. En quelque sorte ils m’ont élu par intérêt, (elle sourit). L’année dernière, avant les élections du président j’ai relu tous les documents déjà existants. Par courrier j’ai pu expliquer mon programme et mes idées. J’aime le mot

« compartir », ça veut dire partager. Avec cette idée je les ai tous convaincus à me choisir comme « presidenta ». J’ai beaucoup travaillé pour changer et améliorer les choses dans l’association. Je suis très satisfaite et fière car j’ai déjà obtenue mes premiers résultats.

C’est sûr que mon énergie et mon caractère féminins ont joué. J’arrive à les mettre d’accord, tâche pas toujours évidente. Ils reconnaissent ma valeur et mes compétences. Je suis très valorisée, ils me mettent toujours en avant. Parfois c’est même gênant et je renonce à faire des choses pour laisser la place aux autres. Par exemple, la semaine dernière on organisait une interview live sur Instagram avec Manuel Claro ACC, et ils m’ont dit que c’était à la presidenta de le faire. Ils ont beaucoup d’estime pour moi. Et Italie, je n’ai jamais ressenti la même chose avec l’AIC, d’où je suis sortie. Ils m’avaient fait rentrer pour augmenter le nombre de femmes et non parce qu’ils avaient regardé mon parcours professionnel. Une sorte de petit cadeau qui leur servait à se mettre à « niveau » avec la loi de « quote rosa »1. Je n’avais pas la même valeur vis-à-vis des mes collègues hommes. Une fois, pendant une MasterClass avec tous les chefs-opérateurs italiens (membres et non membres de l’AIC), on a eu un tout petit moment pour intervenir avec mes collègues femmes. Du coup j’ai préféré partir. J’ai donc envoyé une lettre pour expliquer mon départ, et aucune des mes collègues ne m’a suivi. Si c’était arrivé au Chili mes collègues auraient toutes quittées l’association avec moi.


Avez-vous déjà pensé à ouvrir l’association aux gens non binaire et aux minorités?

Au Chili les gens sont très ouverts. Ils n’ont aucun problème à accepter des personnes non binaires et qui appartiennent aux minorités dans la société et le monde du travail. Dans le monde du spectacle et de la culture, j’en connais énormément, on ne fait pas de différence. Mon meilleur ami Sebastian Munoz est marié avec un homme. Il a toujours travaillé comme chef décorateur et l’année dernière à gagné le Lion d’or à la Biennale de Venise avec son premier film, El principe, comme réalisateur.


Comment ça se passe avec les autres associations de chefs opérateurs en Amérique du sud? Sais-tu si elles font attention au rôle de la femme dans le milieu du cinema et de l’audiovisuel?

La FELAFC est une fédération qui regroupe les associations des chefs opérateurs de 8 pays membres: Chili, Argentine, Brésil, Pérou, Colombie, Venezuela, Mexique et l’Uruguay. On essaie de se voir au moins une fois par an et sur internet ça nous arrive de nous voir plus souvent. Depuis l’année dernière 4 associations sur 8 ont une femme qui est présidente. Au Chili, une véritable industrie cinématographique n’existe pas encore. Après les événements historiques elle commence à poser ses bases. Pour le moment nous n’avons pas une commission de genre, comme par exemple en Argentine, Mexique et au Brésil.


Penses-tu qu’il puisse exister une réelle collaborations entre les différents collectifs et associations dans le monde actuel?

J’imagine une énorme base de données où chaque collectif ou association pourrait avoir accès. C’est un peu ce qu’il se passe avec Women in Film, un lieu de compartir: partage de nos expériences et de rencontres. J’ai une grande estime pour IMAGO, la fédération des associations des chefs opérateurs dans le monde. C’est la fédération par excellence, elle fait un travail remarquable. Elle est composée d’une commission de genre, de la technique, de l’éducation, des droits d’auteurs. Dans cette période exceptionnelle du Covid19, chaque association des divers pays est en train de rédiger un rapport de propositions afin de redémarrer les tournages.

Pour moi l’idée des collectifs (mixtes ou non), nous permet d’être dans les autres pays et de travailler.


As-tu déjà pensé à créer un collectif composé uniquement de femmes, en Italie ou au Chili?

Au Chili, il existe un collectif de femmes dans l’audiovisuel, tous postes confondus. De mon côté, j’essaie d’inclure d’autres femmes chefs opératrices dans l’association ACC. Dans l’association on est 47 membres et seulement 3 femmes. Dans les autres associations, par exemple de réalisateurs ou monteurs, la différence est beaucoup moins importante. Le pays est en reconstruction. Il est relativement jeune. Il y a du retard dans presque tous les domaines. En revanche au niveau de la mentalité, les chiliens sont beaucoup plus ouverts par rapport à d’autres pays. Autrement je ne serais pas présidente de l’association des chefs opérateurs, (elle rit)! Ils n’ont pas eu « peur » de m’élire comme représentante. De même lorsque ils ont élu Veronica Michelle Bachelet, première femme président au Chili.

J’ai essayé de créer un collectif de seules femmes en Italie, mais sans aucun résultat. Il y a encore beaucoup de chemin au niveau mentalité. C’est une question culturel. En Italie, tu es tout de suite cataloguée en tant que féministe contre les hommes, et non comme une femme censée bénéficier des mêmes droits que les hommes. Dans cette période de confinement on est en train de former une autre sorte de collectif. En Italie les chef opérateurs n’ont pas d’agences, donc ça va nous permettre de fixer des tarifs syndicaux, qui sont restés inchangés depuis 20 ans. Ces tarifs vont apparaître sur une sorte de « Manifesto ». Les boites de productions vont se trouver confrontés à ces nouvelles règles. On est déjà 120 personnes: femmes et hommes. C’est un très bon résultat! On veut se battre aux cotés des hommes, et ça c’est nouveau en Italie.


Et ton rapport avec les hommes sur les tournages? As-tu subi des blagues sexistes?

Lorsque j’ai commencée à travailler dans le cinéma je n’y ai pas échappé et ce n’est pas toujours facile à gérer. Parfois tu n’y fais pas attention, et d’autres fois tu fais comme si cela te faisait rire, pour ne pas passer pour la fille coincée. Ensuite, tu commences à répondre et à les remettre à leur place. C’est une jungle! Il faut apprendre à se défendre. Il y a 10 ans j’ai renoncé à un des plus grand projet de production italienne parce que je n’ai pas du tout apprécié leur comportement sexiste. Depuis que je suis cheffe opératrice je n’ai plus à faire avec des blagues désagréables sur les plateaux. C’est plutôt en dehors des tournages que je suis confrontée aux approches sexistes. J’ai souvent des invitations dans des chambres d’hôtel pour « discuter » de futurs projets, que je décline très volontiers. Le fait d’assumer ma féminité, laisse penser à certains qu’ils sont autorisés à me draguer.


Comment choisis-tu ton équipe? Est-ce que tu prêtes particulièrement attention aux femmes?

Normalement je fais mes choix selon le réalisateur et le type de projet. Je sais que pour certains tournages un assistant conviendra mieux qu’un autre. En tout cas j’essaie d’inclure au moins une femme sur chaque projet, voir deux si possible. Ca m’est déjà arrivé de travailler dans une équipe entièrement féminine, mais je préfère la mixité. Je trouve que c’est important de mélanger les deux. Tous mes assistants hommes respectent les femmes et vice-versa et ils me respectent en tant que cheffe opératrice et femme.


Comment concilier tournages et maternité?

Un jour mon chef électricien me dit: « Maura, il faut que tu viennes à Cinecittà, je suis en train de travailler avec une cheffe opératrice argentine et tu dois absolument la rencontrer! ». Je décide d’y aller et une fois sur le plateau j’aperçois une femme enceinte sur la Dolly qui était en train de chercher le cadre. Cela m’a tellement ému que j'en avais les larmes aux yeux. C’est fondamental de pouvoir continuer à travailler en gardant ce désir de maternité. C’est tout aussi important que d'avoir trouvé la bonne personne qui sera capable d’accompagner cette femme tout au long de son parcours vers la maternité, en la soutenant et en prenant le relais auprès de l'enfant durant des semaines, voir des mois de tournage. C’est vraiment un travail d’équipe au sein du couple.


Est-ce que certaines femmes sont des modèles qui t’on inspiré?

Bien sûr! Par exemple, Ellen Kuras (ASC) m’a beaucoup inspirée, que ce soit au niveau humain ou au niveau de son travail sur la photographie. Son passage à la réalisation était une évidence, ça ne m’a pas étonné. Ensuite une fois sortie d’école j’ai voulu voir Kika Ungaro (AFC, AIC). À l’époque, elle était une pionnière en Italie comme directrice de la photo. J’ai une grande estime pour Rachel Morrison (ASC). Récemment j’ai regardé une interview avec Natasha Braier (ASC, ADF), et je me retrouve dans tout ce qu’elle à dit. Un autre modèle, c’est Veronica Michelle Bachelet. Il y a beaucoup d’autres modèles!

Sinon ma mère et ma tante ont beaucoup compté pour moi. Ma mère a travaillé énormément pendant mon enfance, j’ai beaucoup d’estime pour elle. Ma tante Carmengloria Morales est une artiste peintre, elle a dû se battre pour se faire une place dans le cercle d’artistes qu’elle fréquentait: c’était l’époque de Pasolini, Fellini, Schifano, dans les années 60 et 70. Un monde composé essentiellement d’hommes. A l’époque, exercer ce métier c’était presque improbable pour une femme. Donc depuis toujours j’ai eu ces beaux exemples dans ma famille.     


Avril, 2020







1: Proposition de loi pour équilibrer le nombre de femmes aux postes dirigeants et réduire la discrimination de genre (glass ceiling).



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