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Les Couleurs de TOM

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Au premier plan, une jeune femme nous regarde, frontalement, et semble nous interroger. La douceur des teintes pastels de son pull en laine, de ses cheveux et du décor suggèrent une vulnérabilité délicate qui s’oppose à son attitude frondeuse. En contrepoint un jeune garçon file librement à vélo, un bouquet champêtre accroché à son guidon, sous un ciel tendre parsemé de nuages légèrement rosés. A droite, les fines lettres du titre en rose vif s’imposent, et accentuent la polarité de la composition suggérant l’intensité du lien qui les unit.

 

Révélée au grand public grâce à Pieds nus sur les limaces, Fabienne Berthaud poursuit son exploration sensible de personnages à la fois fragiles et libres, mêlant avec justesse poésie et naturalisme. Pour retrouver cette tonalité si singulière, la réalisatrice a de nouveau fait confiance à la directrice de la photographie Nathalie Durand, avec qui elle entretient une complicité artistique solide, presque instinctive.

Inspiré du roman « Tom petit Tom tout petit homme Tom » de Barbara Constantine, Tom est un conte intime et contemporain qui célèbre l’innocence et la liberté. La réalisatrice y déploie une vision sensible et contemplative de la relation mère-fils, évitant tout misérabilisme au profit d’une poésie subtile.


SAVOIR SAISIR


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Ciel Blanc. En mouvement panoramique haut-bas, des arbres se découpent en silhouettes grises bientôt envahis par le vert profond du feuillage et des sous-bois. Peu à peu, la luminosité du mobil home blanc crème ramène notre attention à l’avant plan. Progressivement, sur ce large plan d’ouverture, l’image bascule discrètement du noir et blanc à la couleur, guidant le regard du spectateur de la rêverie vers la réalité tangible des bottes en caoutchouc foulant l’herbe verte et humide.

 

Tom a onze ans, et vit seul avec sa mère dans un mobil home. En marge de la société, le jeune garçon trouve refuge dans la nature environnante, loin des adultes défaillants.

Quand on vit en caravane, la pièce principale c’est dehors. C’est la vie rêvée pour tous les claustrophobes, tous ceux que les bureaux, les boites ou les cases oppressent. La nature cesse d’être un paysage pour devenir un nid nourricier et protecteur, un habitat à part entière, presqu’une seconde mère. Loin des studios de cinéma hermétiques et bien équipés, ici l’équipe technique ne dicte pas sa méthode mais l’adapte aux éléments naturels qui l’entourent. L’art consiste alors à faire corps avec la forêt, à composer avec la lumière naturelle, tantôt crue ou brutale, tantôt douce et tamisée par les feuillages comme c’est souvent le cas pour Tom. Parfois un rayon de soleil perce à travers les arbres, qu’il faut saisir comme un cadeau.


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Savoir saisir c’est sans doute l’un des traits essentiels au geste filmique de la réalisatrice.

 

D’abord comédienne, Fabienne Berthaud s’est tournée vers la réalisation en suivant, caméra au poing, le quotidien d’une femme mannequin pour son premier film Frankie (Diane Kruger). Depuis, elle aborde chacun de ses films équipée d’une caméra légère et maniable, et pour cela, la directrice de la photographie lui offre un dispositif de tournage aussi souple que possible.

Pour Tom, tandis que les comédien.nes s’emparaient du texte et de l’espace de jeu, la réalisatrice s’est intégrée à leur chorégraphie, trouvant des axes, des émotions, grâce à un objectif zoom Angénieux 28-76mm qui lui permettait d’ajuster son cadre instinctivement. En parallèle, la directrice de la photographie agissait en parfaite complicité, apportant son regard complémentaire avec des optiques fixes, une série Zeiss GO, pour enrichir ou soutenir l’action.

Au fil de la scène, la réalisatrice affine le jeu, tandis que la directrice photo ajuste discrètement, si besoin, un accessoire d’éclairage ou un projecteur. Le zoom Angénieux 28-76mm, réputé pour son piqué exceptionnel, son contraste maîtrisé et sa polyvalence, accompagne cette approche fluide et organique du tournage, où liberté et contrôle se conjuguent.

 

« Fabienne prend la caméra, commence à tourner, et moi à ce moment-là je rentre dans la danse. C’est très grisant, j'ose beaucoup plus de choses. C'est une grande liberté. »

Nathalie Durand

 

Grâce à cette mise en scène à la fois organique et intuitive, les deux caméras captent un jeu vivant, fluide et dans l’instant. Les plans sont fixes, bruts ou légèrement tremblés pour rester au plus simplement près des corps, des visages. Les travellings sont rares et discrets, l’important est l’observation patiente, le style vise l’épure visuelle.

 

Parfois cette liberté se heurte aux contraintes d’un décor naturel. Celui ou celle qui a déjà tourné dans une caravane peut tout à fait imaginer combien l’espace limite les possibilités. Pour Tom, seul un des murs du mobil home a été percé pour gagner un peu de recul, pour le reste, l’équipe a su exploiter l’étroitesse du décor sans alourdir les séquences. D’autres fois les contraintes matérielles sont irréductibles, mais par un heureux hasard, elles donnent naissance à des séquences magnifiques. Comme lorsque le vent empêche absolument un drone de décoller et que l’équipe doit se résoudre à suivre un véhicule de jeu en plan fixe, offrant ainsi l’un des plus beaux plans du film.


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LE REGARD POETIQUE

 

En découvrant l’affiche on pourrait croire que le rose vif est l’une des couleurs principales de la palette du film, apportant un contrepoint aux teintes végétales de la nature. En réalité cette couleur éclatante ne ponctue qu’une seule séquence, l’équipe des décors et costumes ayant pris soin d’éviter les couleurs trop vives, sauf pour souligner quelques détails narratifs. L’identité colorimétrique de Tom se révèle surtout dans les teintes pastel.

La couleur accompagne la psychologie des personnages. Comme un levier artistique puissant qui influence directement la réception émotionnelle du film, enrichissant à la fois l’expérience sensorielle et narrative.

Pour Tom, les réalisatrice et directrice photo ont choisi d’envelopper la fragilité de leurs personnages dans une douceur visuelle, orientant naturellement le traitement de l’image vers des tonalités tendres, parfois presque laiteuses. L’étalonnage du film a été confié à Marine Lepoutre, dont le travail a renforcé cette atmosphère subtile.

Ce qui rend l’analyse de la colorimétrie de Tom particulièrement intéressante, c’est l’usage délicat de la teinte beige clair comme toile de fond. Sa neutralité équilibrante permet de faire ressortir les teintes plus profondes des décors, ou des costumes, offrant un appui doux et harmonieux. Évoquant le naturel, la terre et l’authenticité, ce beige léger apporte une sensation de confort et une chaleur apaisante qui enveloppe les autres couleurs sans perturber l’équilibre global.

Le beige léger, couleur neutre, apporte un contraste doux et subtil qui accentue la perception des teintes fortes en les harmonisant. L’image gagne en profondeur et en chaleur sans heurter.

Les exemples à l’image sont nombreux mais le plus parlant est sans doute le traitement des peaux. La directrice de la photographie et la coloriste ont soigneusement préservé la pâleur des peaux des comédiens, en y ajoutant parfois un brin léger de chaleur, dans le souci de donner de la force à leur regard. Pour plonger dans les émotions des personnages et saisir leurs états d’âme, la réalisatrice privilégie souvent le récit par les visages. Il était donc essentiel, au moment de l’étalonnage, de conserver cette présence tout en accentuant la focalisation sur leurs regards. Aller dans le sens de la carnation, sans chercher à l’intensifier en allant vers des beiges moyens et dorés, mais plutôt en restant dans les beiges légers voir froids, a permis de rester neutre et de souligner les regards.


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Le soin porté aux beiges, à leur neutralité enveloppante, fait émerger deux couleurs en particulier, le vert et le bleu, certainement privilégiées pour la sensation de calme, d’apaisement et de rêverie qu’elles évoquent.

Combinés ensemble, le vert et le bleu créent une palette qui oscille entre nature réelle et dimension émotionnelle, entre vie tangible et états intérieurs. Portées par les nuances de beige et de brun, cette association crée une profondeur chromatique qui tend vers le sensible. La dualité vert/bleu devient alors un véritable moteur narratif, fixé sur des contrastes émotionnels forts et guide le spectateur.

 

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Cette narration visuelle fonctionne d'autant mieux qu'elle s'appuie sur une alliance chromatique analogue, source à la fois de nuance et de cohésion.

En effet, situées dans le segment froid du cercle chromatique, le vert et le bleu sont des couleurs voisines, ce qui en font des analogues naturelles. Contrairement à des complémentaires pures (comme le bleu et le orange) qui créent un choc visuel dynamique et intense, leur proximité génère une harmonie subtile, stable et profondément apaisante. Cette parenté chromatique permet au regard de circuler entre elles, sans accroc ni tension, renforçant ainsi les sensations de calme et de rêverie.

Leur alliance ne repose pas sur l'opposition, mais sur une gradation naturelle. Elle évoque instinctivement des paysages sereins et organiques : la fraîcheur d'une forêt bordant un lac, la transition douce entre le feuillage et l'atmosphère. Cette connivence avec le monde naturel ancre la composition dans une dimension à la fois tangible et onirique.

Portée par le socle neutre et chaleureux des beiges et des bruns, cette harmonie analogue acquiert une profondeur supplémentaire. Les neutres agissent comme un amplificateur de leur dialogue, offrant une base qui exalte leur fraîcheur sans la neutraliser. Ils assurent une transition enveloppante vers le spectateur, permettant au vert et au bleu de « vibrer » en parfaite synergie, sans jamais entrer en concurrence.

Ainsi, le choix de cette alliance analogue n'est pas anodin. Elle devient le véhicule sensoriel de l'émotion recherchée : une invitation à la contemplation, à l'introspection et à un sentiment de quiétude naturelle. C'est cette harmonie fondamentale, bien plus qu'un contraste marqué, qui guide le spectateur et construit la dimension sensible et narrative du film.


FOCUS SUR LES COULEURS COMPLEMENTAIRES

 

Si, pour Tom, la palette choisie s'écarte volontairement du contraste dynamique des complémentaires pour privilégier l'harmonie analogue et apaisante des verts et des bleus, la maîtrise de la théorie des couleurs complémentaires en RVB n'en reste pas moins l'outil fondamental de l'étalonneur.euse. En effet, c'est cette connaissance technique approfondie qui offre la liberté de s'en émanciper artistiquement. 

 

Les couleurs complémentaires sont des paires de couleurs qui se situent exactement à l’opposé sur le cercle chromatique RVB. Leur association offre un contraste visuel saisissant et peut créer des compositions dynamiques et équilibrées.

La maîtrise des couleurs complémentaires dépasse largement la seule technique d'étalonnage ; elle est un principe fondamental de la grammaire visuelle qui imprègne le design graphique, la peinture, la photographie et la direction artistique au cinéma.

Le choix d'une palette complémentaire (comme l'orange et le bleu, souvent déclinée en Teal & Orange) n'est pas un hasard. C'est un outil narratif puissant utilisé pour créer une tension visuelle, guider l'œil et l'émotion, et forger une identité visuelle cohérente. Cette harmonie contrastée devient souvent la signature colorimétrique d'un film, bien en amont de l'étape d'étalonnage.

Ainsi, l'étalonneur.euse qui possède cette culture visuelle ne se contente pas de corriger une image : il.elle comprend l'intention artistique originelle et collabore avec la direction artistique pour la magnifier, et la conserver tout au long de la chaîne de production, de la conception à la post-production. Sa technique devient alors un moyen au service d'une vision artistique plus large.


     Les paires de couleurs complémentaires du cercle RVB        Rouge/Cyan – Orange/Bleu Outremer – Jaune/Bleu – Chartreuse/Violet – Vert/Magenta – Turquoise/Carmin

Pour aller plus loin, il est fondamental pour un.e étalonneur.euse d'avoir parfaitement intégré la théorie des couleurs complémentaires du cercle RVB car cette connaissance constitue le socle scientifique et technique sur lequel reposent la plupart de ses interventions. Loin d'être une simple théorie abstraite, elle est le principe de fonctionnement des outils numériques et le guide pour corriger, équilibrer et créer la couleur avec intention et précision.



Son application la plus basique et courante est la correction d’une dominante colorée. L’étalonnage d’une séquence commence souvent par l’équilibrage des blancs et des noirs, on va par exemple neutraliser un excès de rouge en y ajoutant sa couleur complémentaire, le cyan. Mais la connaissance de cette technique permet aussi de savoir quel levier utiliser pour appuyer un look en attribuant par exemple des teintes complémentaires aux hautes et basses lumières ou encore en orientant la teinte d’un costume vers la couleur complémentaire du décor principal.

 

La théorie des complémentaires n'est pas une cage mais une boîte à outils. Son apprentissage est aussi indispensable que celui du solfège pour un musicien ou de la grammaire pour un écrivain. C'est cette maîtrise technique profonde, presque instinctive, qui permet à l'étalonneur.euse de corriger les problèmes avec efficacité, mais surtout de faire des choix artistiques éclairés comme celui de s'en écarter délibérément, comme c’est le cas pour Tom, en vue de créer une harmonie analogue et apaisante. Chaque réglage, de la correction la plus basique à la création la plus subjective, est un dialogue constant avec le cercle chromatique et ses relations de complémentarité.


TEXTURE DE LA NUIT ET MERVEILLEUX


L’image de Tom se construit autour d’une palette de couleurs analogues, mais son style apparait tout autant par le travail sur la texture de la lumière. Pour les séquences de jour, c’est la lumière du réel qui domine. La directrice de la photographie utilise des sources naturelles ou simulées pour produire des tons doux et enveloppants. Elle ajoute parfois des filtres Hollywood Blackmagic à sa gamme d’optiques afin d’adoucir la transition des hautes lumières et d’obtenir un rendu mat et velouté sur les visages.

 

Tandis que le jour fait dialoguer la palette naturelle Brun/Vert/Bleu, la nuit, la couleur bleu va l’emporter tout naturellement sur le vert endormi et des couleurs beaucoup plus chaudes vont alors émerger. La lumière devient plus ciblée avec des contrastes marqués et des zones d’ombre plus profondes. L’éclairage, désormais plus directionnel, sculpte les volumes, donne du relief aux formes. La directrice de la photographie cherche à plonger l’atmosphère dans des eaux sombres, à y révéler une rugosité idéale qui confère au film une dimension intime, parfois teintée d’un mystère et d’un fantastique discret. La maison de la vieille femme des bois ne serait-elle pas finalement la cabane d’une gentille sorcière tout droit sortie d’un conte de Grimm, que Tom feuillette lorsqu’il dort chez elle ?


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« Pour TOM j'avais choisi la caméra Gemini de RED. Le double ISO allait me permettre de donner aux nuits les noirs charbonneux que je souhaitais. J’apprécie leur côté rugueux qui pousse vraiment la matérialité de l’image »  

Nathalie Durand

 

Ce travail plastique, toujours dans la recherche de donner du corps à l’image, se prolonge aussi en post production par l’ajout de grain scanné et, parfois, d’un subtil travail de glow dans les éclats des hautes lumières. Cette matérialité révèle la texture des décors et des costumes, souligne les surfaces de bois et les mailles de laine, et renforce encore l’ancrage terrestre et naturel du film.

Cette approche contribue aussi à situer l’histoire dans une temporalité floue. L’histoire de Tom se déroule sans réel marqueur de saison ou d’années, on cherche ici à effacer la sensation du temps et de la modernité. La maison de Madeleine, presque abandonnée, devient un refuge hors du temps, une cabane féerique figée dans une atmosphère de conte.

 

En quête d’une identité visuelle capable d’incarner le réalisme poétique de l’histoire, Nathalie Durand s’est en partie inspirée du travail du photographe Gregory Crewdson qu’elle affectionne particulièrement. A l’image de Crewdson, elle a construit une atmosphère mystérieuse et mélancolique jouant sur le contraste entre lumière naturelle et lumière crépusculaire. L’ordinaire devient étrange et le parcours des personnages est à la croisée de l’intime et du merveilleux, mêlant un réalisme cru à une étrangeté symbolique, caractéristique de cette esthétique cinématographique singulière.   

 

Tom transpose, sans recours aux effets fantastiques, la structure du conte initiatique dans un cadre naturaliste. La forêt, à la manière des contes des Grimm, devient un espace tangible, mais chargé de pouvoir réparateur et symbolique, où l'enfant construit sa propre fable intime.


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Gregory Crewdson – Untitled (2001-2002) – Twilight

 

 

L’EQUIPE

 

Réalisatrice Fabienne Berthaud                                       

Directrice de la photographie           Nathalie Durand

Production Design                             Marion Burger

Étalonneuse                                       Marine Lepoutre                                           

Laboratoire                                        United Post Prod                                          

Production                                         Move Movie – Rhamsa Productions

                                              

 
 
 

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