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Texte de la conférence "Regard Féminin" au Micro Salon 2024


Nous avons toutes, au moins une fois, été appelées pour travailler parce que nous sommes des femmes. Et cela nous a toutes questionnées. Oserait-on appeler un homme en lui spécifiant que c’est parce qu’il est homme qu’on a pensé à lui ? Probablement pas. Pour une femme, c’est différent. Mais pourquoi ? Est ce parce qu’on attend d’une femme qu’elle se comporte différement sur le plateau ? Qu’elle soit patiente, à l’écoute, clichés dont sont victimes les femmes ? Ou bien existerait-il un regard spécifiquement féminin ? Quoi qu’il en soit, en tant que femmes opératrices, notre unique option est de nous confronter à ce terme : celui de "regard féminin", de le questionner, de nous l’approprier, car par la force des choses, il nous est associé. 


Ce sujet nous interpelle, nous inquiète, nous réjouit. C'est selon. Certaines d’entre nous craignent de se voir limitées et stigmatisées. D’autres pensent que la pluralité des genres est nécessaire à la créativité. 


Nous avons décidé de nous attaquer à la question.

« Regard féminin » : mythe ou réalité, piège ou levier.


Nous sommes soutenues par Sarah Lécossais, jeune chercheuse qui a déjà participé à la table ronde «Carrières et maternités » et à l’enquête pour 50/50 : «Cinégalités» qui porte sur les inégalités de représentations dans le cinéma français.

Nous avons élaboré un questionnaire que nous avons soumis aux membres de Femmes à la caméra. Et nous avons alimenté notre réflexion avec (entre autres) le livre d’Iris Brey “Le Regard féminin”, et les documentaires de Julie Bertuccelli sur Jane Campion « La Femme Cinéma » et celui de Delphine Seyrig “Sois belle et tais toi”.

 

Nous vous livrons aujourd’hui l’essentiel des réponses à ce questionnaire et l’état de nos réflexions  découlant  des témoignages que nous avons recueillis.


  • Dans votre vie professionnelle avez-vous déjà été appelée parce que “femme” ? Quels arguments ont été avancés ? Qu’avez-vous ressenti ?

Toutes les femmes ayant répondu à ce questionnaire attestent avoir été appelées plusieurs fois parce qu’elles étaient des femmes.


  • Soit à cause du sujet du film … une femme porterait un regard plus sensible et empathique sur les expériences féminines (scène d’accouchement, de maternité, de rapport sexuel, de nudité, d’une femme qui marche seule dans la nuit, par exemple) grâce à notre ressenti en tant que femme qui impacterait la manière dont nous tenons la caméra, apportant une richesse de propositions

 

  • Soit le contexte du tournage.. une femme derrière la camera serait rassurante pour les personnes filmées (projet avec des scènes intimistes, pour que les femmes se sentent plus à l’aise... sans poser la question de savoir si nous, derrière la caméra, nous serons à l’aise)

 

  • Soit pour des questions de parité. Pour les quotas (et/ou) aussi pour une ambiance de mixité sur le tournage, favorable à un climat plus agréable et serein.

 

Dans l’ensemble cette préférence qui nous serait donnée, très momentanément, éveille un certain nombre de sentiments et réflexions :

 

Nous sommes plusieurs à avoir l’impression que si nous ne savons pas toujours ce que “regard féminin” veut dire, ou quelles sont les qualités typiquement  féminines évoquées… beaucoup des décideurs du cinéma en ont l’idée. C‘est du moins le discours qu’ils ou elles tiennent à l’embauche.


Beaucoup d’entre nous aspirent à être appelées pour la qualité de leur travail, et à ce que le genre ne soit même plus une question.

Nous sommes partagées entre l'envie de ne pas nous faire stigmatiser, limiter ou enfermer dans des thèmes, ou des fonctionnements, et le plaisir de pouvoir exprimer une “part féminine” de notre personnalité.


On peut quand même remarquer qu’un grand nombre des films où notre sensibilité féminine est requise... correspondent à des petits budgets. 


« Cette spécificité, j'en ai conscience depuis ma petite enfance quand j'ai réalisé que j'étais une femme et que le monde autour de moi était construit sur un modèle patriarcal. Les regards et les consciences évoluent mais le chemin est encore long. Pour ma part, j'ai toujours fait de mon genre une force, comme l'identité de chacun.e.s d'entre nous. 


Cette personnalité que nous cultivons , qui nous sommes vraiment,

 c’est aussi un de nos atouts pour faire carrière.


  • Selon vous, « être cheffe » est-ce en contradiction avec les qualités que l’on prête aux femmes ? Comment gérez-vous votre statut de cheffe d’équipe ?


“Finalement les qualités exigées pour être cheffe op ne sont pas spécialement viriles ou féminines. Pour faire avancer une équipe il faut savoir prendre des responsabilités, prendre des décisions rapides, gérer les égos des coéquipiers, être très flexible, protéger son équipe, assumer les difficultés... Dans tout ça je vois des qualités que souvent plus de femmes possèdent que d'hommes.”

“Ce qui avance très peu, c'est le fait de faire confiance aux femmes pour les films à  gros budgets. Ça vient peut-être de l'envie de garder, pour certains, les bénéfices financiers d'un gros tournage. Ou alors que les gros budgets demandent une acceptation totale d'un système qui a ses règles, ses lois et ses zones d'ombre…”

« Au fil des années je me suis rendue compte que je forçais un peu sur ma propre virilité interne pour ne pas rentrer dans l'horrible case de la femme soumise et sensible. Depuis quelques années avec la libération de la parole en ayant rencontré d'autres femmes, je ne ressens (presque) plus le syndrome de l'imposteur »

« Se défaire des préjugés et prouver sa légitimité nécessite de redoubler d’efforts sur un plateau, ce qui peut rendre difficile l’affirmation d’un regard. »


  • D’après vous le regard féminin est-il un regard féministe, dissident, neutre ? 


La sous-représentation des femmes dans le cinéma amène forcément un regard en lutte perpétuelle pour la représentation féminine.     

« Pour certaines, le regard féminin est un regard féministe dans le sens où il implique de regarder le monde du côté des femmes, de leur point de vue, de leurs histoires petites et grandes. C'est un regard qui interroge le droit des femmes, la marche vers une parité juste. C'est un regard qui dépasse l’évidence. Cela est sûrement dû au fait que longtemps les femmes n'ont pas eu beaucoup la parole. Dans ce silence, elles avaient le temps d'observer les choses et les gens. C'est un regard qui aime les décalages, les surprises, les moments subtils où une autre réalité est possible. »

« Moi quand j'arrive sur un tournage, j'arrive avec mon âme de directrice de la photo mais aussi de femme qui a vécu une vie de petite fille, de jeune fille, une femme qui a vu l'injustice faite aux femmes, une femme  qui a été aidée par des hommes, mais qui a puisé sa détermination dans toute une lignée de femmes indépendantes et fortes, ma mère, ma grand mère. Mon regard est marqué par toute ma vie, tout ce qui m'est arrivé parce que je suis une femme. »


« D'après moi, le regard féminin est plutôt un regard dissident. Que certains hommes adoptent parfois, pour peu qu'ils acceptent de faire un pas de côté, de regarder le monde et le cinéma avec d'autres lunettes que celles du discours dominant, souvent machiste et limité. »


« C’est important qu’il y ait une mixité des regards. Je regarde avec ma sensibilité qui est empathique. Je pense qu’il faut qu’il y ait des regards pluriels, dissidents au cinéma, pour laisser une trace du monde avec des regards féminins et masculins. »


Brit Marling “Parfois, le monde me semble déséquilibré. Et de fait, nous avons été privé.es de la perspective féminine. Comme si nous n'utilisions que la moitié de nos capacités à force d’exister uniquement au travers du prisme de la narration masculine” 


L’homme se pense à la fois comme le masculin et comme le neutre. Il est le point de référence : il ne dit pas qu’il est homme. La femme va par conséquent se définir par rapport à lui. D’où l’existence d’un regard féminin. Simone de Beauvoir écrit : “la femme se différencie et se définit  par rapport à l’homme et non celui-ci par rapport à elle, elle est l’inessentiel en face de l’essentiel.” 


L’idée d’un regard neutre est l’idée que le regard féminin cesserait de se penser par rapport au regard masculin. Pourtant nous vivons dans un monde conçu par et pour les hommes. L'art qui nous a été enseigné est le fruit d'une vision masculine, et nous avons pris l'habitude de regarder le monde à travers les yeux d'un homme, au mieux désirant, au pire objectivant. Dans ce monde androcentré, il existe en effet une façon bien différenciée de représenter les femmes : les déshabiller (au propre comme au figuré), les montrer passives, en détailler des parties distinctes plutôt que la totalité... Il arrive d'ailleurs qu'en tant que femme nous reproduisions ce regard, ce "male gaze", car cela fait partie d'une grammaire à laquelle nous avons été biberonnées. Le regard féminin dès lors qu'il est "conscient" est donc forcément dissident. Il s'agit de changer les codes visuels et narratifs. 



« La société patriarcale occidentale dans laquelle nous vivons génère parfois de la misogynie intériorisée même lorsque l'on est une femme. On peut donc être une femme (ou s'identifier comme telle) mais perpétuer des schémas de pensée qui déservent les femmes et leurs droits. »

« En tant qu’assistante caméra, ma position de première spectatrice est sans doute empreinte d’empathie, de sensibilité, d’émotivité. Pour avoir travaillé récemment avec un jeune directeur photo, je pense pouvoir dire qu’il a lui aussi un regard d’empathie. Je crois que chaque individu a un ratio masculinité/féminité qui lui est propre et qui peut évoluer »


  • Votre regard a-t-il évolué au cours de votre parcours ?


Le regard évolue nécessairement au fil des expériences de tournage et des expériences de spectatrices. 


En novembre dernier, à Camerimage, festival célébrant le regard des directeurs et directrices de la photographie, nous sommes plusieurs à avoir été choquées de la sous représentation des femmes directrices de la photo dans les films présents en compétition. Une projection a particulièrement retenue notre attention : celle des clips vidéo. 20 clips étaient présents en compétition cette année. Sur les 20 directeurs photo, seulement 3 étaient des femmes. Et une grande partie des clips mettaient en scène une image des femmes rétrograde, ultra sexualisée, dans des postures dégradantes. 

Après la projection, nous sommes plusieurs directrices de la photo à en avoir discuté, nous avions été secouées. Nous avons pris conscience que nous ne regardons visiblement pas le monde comme les hommes et que notre regard a le devoir d'exister. La même situation aurait-elle provoqué le même choc chez nous avant la révolution Me too ? Avant les groupes de paroles entre femmes ? Pas sûr. C’est bien la preuve que notre regard évolue, change au fil des événements politiques qui font avancer notre société. 



Ce questionnaire n’est qu’un début. Il nous donne envie de pousser plus loin nos réflexions et nos recherches, de réaliser des interviews filmées, d’organiser une table ronde avec des invitées impliquées dans cette réflexion (Sarah Lécossais, Iris Brey et toutes celles que nous ne manquerons pas de rencontrer au fur et à mesure de nos discussions et expériences autour du « Regard Féminin »)


Merci !

Nous vous tiendrons bien sûr toutes et tous informés de la suite de notre projet. (A découvrir également : le mémoire de Mathilde Blanc publié en 2020)

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